La Première Fois par Milie

La Première Fois par Milie

ou les pérégrinations d’unE kyusha lors de sa première compétition de Kendo

Quelques lignes qui s’éloignent de la rigueur et du sérieux habituel de nos articles pour vous faire part de mon expérience en compétition. Avant toute chose, je plante le décor : femme de 40 ans, je pratique le Kendo depuis trois ans maintenant chez SKT. Bien qu’ayant toujours été sportive, j’avoue que l’âge, les enfants, le boulot… et aussi un peu le caractère exigeant de notre art ont fait que ma progression s’est plutôt faite à un pas de sénateur. Quoiqu’il en soit, j’ai suffisamment avancé sur la voie pour me dire «Tiens et si j’allais à une compét’ ?» sans que cette idée me semble une aberration. Les raisons qui m’ont motivée sont purement non rationnelles : mes 40 ans à fêter, un peu de jalousie pour l’ambiance entre les copains que j’avais encouragé à quelques reprises, un peu d’égo de l’ordre de «je veux faire comme les grands»  et parce que j’adore les défis. Avec un tel profil, vous pensez déjà que forcément, c’est mal engagé et que vous, si vous veniez au dojo, vous ne vous lanceriez pas dans une telle aventure. Eh bien attendez. Il y aura même un happy ending (mais pas à l’américaine car nous sommes dans la vraie vie).

    En tant que femme, quand on va à une compétition, qu’elle soit officielle ou non (pour moi ça a été la Coupe de Pessac, non-officielle et la Coupe de la Chouette à Chateauroux, sur deux week-ends consécutifs), on découvre tout de suite quelque chose fabuleux : c’est qu’il y a d’autres femmes que nos deux ou trois copines de vestiaires qui pratiquent le kendo ! Et déjà là, ça change tout : des jeunes, des moins jeunes, des élégantes ou des plus cools, on croise brusquement un florilège de nanas sympas qui partagent notre goût des hurlements et des bâtons en bambou.  C’est motivant car on ne peut pas se cacher derrière des arguments du type «les garçons sont naturellement plus forts» (vous y croyez encore ?) ou «je suis trop vieille, c’est pas un truc pour une maman». Et on voit des femmes rapides, douées, ouvertes pratiquer un magnifique kendo et… mettre une raclée à des gaillards qui font deux fois leur poids ! Bref, que du bonheur !

    Au-delà des femmes, il y a juste des gens. Bleus. Comme vous. Les copains du dojo qui sont là pour vous aider à vérifier que votre shinai soit en état, pour vous prêter leurs rubans de couleur («ah bon, fallait un ruban blanc et un ruban rouge ?»), vous rappeler comment saluer, vous coacher et vous encourager. Bon, oui, bien sûr merci à eux (Clément, Aleks) mais après tout, nous sommes du même dojo… C’est la famille quoi ! Je suis une ingrate, je sais. Mais faire une compétition c’est surtout, ce plaisir de voir qu’il y a de parfaits inconnus qui vous disent un petit mot gentil, qui vous donnent un conseil après vous avoir passé deux ippons en 42 secondes et qui vous félicitent ! Il y a bien sûr les pauses déjeuners et les dîners collectifs qui sont une occasion de davantage parler. Et la magie des ces compétitions non-officielles, c’est les Ronins : nous étions deux et finalement c’est un Coréen du Sud à l’anglais balbutiant qui fut notre troisième. D’inconnu, Mister Kim est devenu en 2 jours un bout de nous, notre partenaire, notre équipier, notre frère  d’armes : dîner ensemble, stratégie d’équipe, préparatifs … Et c’était une évidence pour lui comme pour nous. J’ajoute le plaisir de croiser des pratiquants qui étaient venus une ou deux fois au dojo, qui savent qui nous sommes et prennent le temps de se poser et de papoter. Bref, un peu une ambiance de grand mariage où on retrouve les cousins lointains, les pièces rapportées ou les amis d’amis. Sans le plan de table et l’obligation d’être aimable avec ceux qu’on trouve insupportables (bon personnellement, je débute alors pour l’instant je n’ai blacklisté personne mais je suis froidement réaliste).

    Pour finir, faut pas rigoler. Une compétition reste une compétition. On peut y aller en sachant qu’on ne repartira pas avec une médaille d’or autour du cou mais on y va pour faire du kendo. Porter les couleurs de notre dojo. Atteindre un objectif. Et progresser. J’ai découvert qu’il m’était dur de me mobiliser à 100 % contre de parfaits inconnus alors qu’à la maison j’ai davantage ce coup d’accélérateur pour essayer de bien faire. J’ai davantage touché du doigt la nécessité de zanshin et d’aller au bout de son attaque. J’ai bien senti que ma posture était trop inégale ou que j’avais un problème de distance. J’ai eu le trac, j’ai vraiment cru que j’aller me carapater avant que ça commence (j’ai brièvement envisagé l’argument «les enfants réclament leur maman») et puis…. Et puis j’y ai été malgré la peur. Et puis je n’ai pas eu mal. Et puis j’étais contente d’être là même si j’ai perdu pendant 99,8 % du temps 2 à 0. Je ne me suis pas sentie décalée ou hors jeu. J’étais à ma place : faire du kendo, de mon mieux, avec mes moyens, mon corps, mon esprit, mon âge. Et entre nous, j’ai réussi 2 ippons. C’est un truc de dingue. Le bruit, les drapeaux qui se lèvent. Je ne peux pas dire je savais qu’il y avait ippon tout de suite parce que j’y avais déjà cru avant et c’étaient de magnifiques loupés. Mais c’est juste que ces deux fois, il y avait un tout qui faisait que c’était léger, facile, comme si pendant quelques millièmes secondes je n’avais pas habité mon corps. Là est la différence avec le ippon-que-tu-crois-mais-il-n’y-est-pas :  tu as ce micro-moment pour pouvoir sentir l’écho de ton geste et mettre ce grain de sable dans ta poche. J’ai soutenu mes partenaires, j’ai fait de mon mieux. Et ils ont assuré. Une médaille pour nous, le fighting spirit. Et j’en suis fière. Et je n’ai pas la sensation de l’avoir volée, comme si j’avais été sur le banc de touche. J’ai été là, j’ai donné le maximum. Allez-y aussi.

                                            Milie